AVIS AUX VOYAGEURS : OTTAWA RECOMMANDE D’éVITER DE CRITIQUER ISRAëL EN LIGNE

Le gouvernement du Canada recommande à ses citoyens d’origine palestinienne ou arabe d’« éviter de discuter d’opinion politiques en ligne » au risque de se faire arrêter s'ils se rendent en Cisjordanie, un territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967.

Le nombre de points de contrôle israéliens a augmenté dans toute la Cisjordanie, peut-on lire sur le site d’Affaires mondiales Canada. Les individus d’origine palestinienne ou arabe peuvent être soumis à une surveillance accrue, à des détentions et à des arrestations.

L'avis aux voyageurs publié par le gouvernement canadien ne date pas d’hier, mais sa formulation a été changée à plusieurs reprises depuis sa première publication, à la suite de l’attaque du Hamas en sol israélien du 7 octobre 2023.

C’est ce que montre une recherche parmi les versions archivées de cet avis sur Wayback Machine, un outil qui permet d’avoir accès à des versions antérieures de pages web.

Une version archivée de cet avis, datant du 4 décembre 2023, indique que même les personnes à bord d’un véhicule immatriculé en Palestine risquent de faire l'objet d'une surveillance accrue, d'une fouille [...], de violences et d'arrestations de la part des forces de sécurité israéliennes.

Un avis destiné aux Canadiens d'origine arabe

Affaires mondiales Canada conseille aux Canadiens d'éviter tout voyage en Israël et en Cisjordanie depuis début août. Un avis semblable a été émis pour le Liban et la bande de Gaza depuis le début de la guerre Israël-Hamas en octobre 2023.

Dans son avis, le gouvernement canadien met en garde ses citoyens d'origine palestinienne ou arabe qu’ils risquent d’être soumis aux règles de voyage du gouvernement israélien pour les Palestiniens. Les autorités israéliennes pourraient alors vous demander d'entrer et de sortir d'Israël avec votre passeport arabe et non pas canadien.

Les Canadiens d'origine palestinienne nés en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza après 1967 [n'ont] pas le droit d'entrer en Israël par l'aéroport international Ben Gourion de Tel-Aviv, peut-on encore lire.

Risque d'expulsion

Par ailleurs, les Canadiens nés dans un pays qui n’a pas de relations diplomatiques avec Israël peuvent faire l'objet d'un contrôle de sécurité renforcé aux points d'entrée, y compris des interrogatoires approfondis, des fouilles corporelles et/ou un refus d'entrée, ce qui peut impliquer une détention temporaire avant l'expulsion, met encore en garde Affaires mondiales Canada.

Parmi les pays arabes qui n’ont pas de relations diplomatiques avec Israël, on retrouve l’Algérie, le Liban, l’Irak, le Koweït, la Libye, Oman, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Tunisie et le Yémen.

C’est n’importe quoi!, a réagi le consul général d'Israël à Montréal, Paul Hirschson, se disant surpris par ces avertissements adressés par le gouvernement canadien à ses ressortissants.

« Un Canadien est un Canadien »

Selon M. Hirschson, il est possible que des militaires israéliens examinent les appareils électroniques des voyageurs aux postes de contrôle. Et je n'ai aucun doute qu'il y a des occasions où les militaires vont tomber sur un ordinateur ou un téléphone portable contenant, par exemple, des centaines de documents distribués par le Hamas, ce qui risque d’être suspect, dit-il à Radio-Canada.

Il rappelle, par ailleurs, qu’en juillet dernier, un citoyen canadien a été abattu par les forces israéliennes près de la frontière avec Gaza après avoir menacé des militaires avec un couteau.

Le diplomate israélien réfute toutefois l’idée que son pays exerce une quelconque discrimination envers les Canadiens d’origine arabe, affirmant qu’aux yeux d’Israël un Canadien est un Canadien.

Mais si vous êtes d’origine palestinienne et que vous passez deux semaines chez votre cousin à Jénine [en Cisjordanie occupée] et que vous passez par un poste de contrôle militaire israélien, j’imagine qu’il vont éventuellement vous poser quelques questions, ajoute-t-il toutefois.

Selon le consul israélien, cet avis aux voyageurs aurait pu être écrit par un fonctionnaire qui a un agenda politique caché. Je vais en parler avec Affaires mondiales Canada, a-t-il assuré. Ils vont devoir le changer.

Des cas documentés

Il existe cependant de nombreux cas documentés de Palestiniens ou de ressortissants étrangers d’origine palestinienne ayant été arrêtés en Cisjordanie pour des publications condamnant la guerre israélienne dans la bande de Gaza.

L’un des cas les plus médiatisés est celui de Samaher Esmail, une citoyenne américaine de 46 ans qui se trouvait à Silwad, dans les territoires palestiniens occupés, lorsqu’elle a été arrêtée début février par les forces israéliennes. Elle a été retirée de force, en pleine nuit, alors qu’elle se trouvait dans sa maison familiale, et a été détenue pendant environ un mois pour incitation à la haine sur les réseaux sociaux.

Selon l’agence américaine Associated Press, la quadragénaire, une résidente de la Louisiane, avait publié des photos de hauts dirigeants du Hamas, mais aucun message appelant à la violence.

Mme Esmail n'a pu consulter un avocat que quatre jours après son arrestation, selon les documents judiciaires de sa première audience. Elle n’a pas eu accès à ses médicaments pendant au moins six jours en détention et s'est même évanouie en prison.

Le Canada critiqué

Dans un entretien avec Radio-Canada, Michael Bueckert, vice-président du groupe Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO), s’est dit surpris par le ton employé par le gouvernement canadien dans son avis aux voyageurs qui contraste, selon lui, avec ses déclarations officielles.

Cela démontre que le gouvernement est très conscient des pratiques de profilage racial exercées en Israël envers les Palestiniens au point qu’il se sent obligé de mettre en garde ses propres citoyens d’origine arabe, ajoute-t-il.

Mais, dans le même temps, le gouvernement canadien a rejeté le dernier rapport d’Amnistie internationale condamnant la politique d’apartheid d’Israël, se désole M. Bueckert.

En février 2022, l’ONG internationale pour la défense des droits de la personne avait publié un rapport qualifiant « d'apartheid » la politique d'Israël envers les Palestiniens et estimant que ces derniers étaient traités comme un groupe racial inférieur.

Le rapport a été fustigé par l’État hébreu, tandis que le gouvernement canadien a rejeté ses conclusions, sans donner plus d’explications.

Ottawa réitère ses mises en garde

Contacté par Radio-Canada, le ministère canadien des Affaires étrangères ne précise pas si le gouvernement de Justin Trudeau condamne ou non les détentions en Israël de personnes en raison de leurs opinions politiques.

Le ministère ne répond pas non plus à la question de savoir s’il qualifie les pratiques des forces israéliennes aux points de contrôle en Cisjordanie comme étant discriminatoires envers les personnes d’origine arabe ou palestinienne.

Le gouvernement du Canada surveille de près les conditions de sécurité à l’étranger, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, en consultant un large éventail de sources d’information, indique dans un courriel une porte-parole d’Affaires mondiales Canada.

Et, pour conclure son message, la porte-parole réitère les mises en garde du Canada à ses ressortissants : Vous, vos amis et les membres de votre famille risquez la détention, l’arrestation, et/ou la suspension ou le retrait de vos permis officiels si vous partagez des informations jugées inexactes ou sensibles par l’Israël, telles que des opinions politiques.

Affaires mondiales Canada recommande aux Canadiens d'éviter tout voyage en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, écrit-elle enfin, en guise de rappel.

2024-09-12T08:13:47Z dg43tfdfdgfd