LE COMBAT DE TORONTO CONTRE LE LAC ONTARIO POUR CONSERVER SES PLAGES EN 2050

Comment conserver l'aspect agréable des plages alors que le lac grignote le littoral? La montée progressive du lac Ontario jumelée à des événements météorologiques extrêmes menace l’un des grands atouts de Toronto. Nous sommes allés sur le terrain voir ce que fait Toronto pour protéger ses berges.

Selon les projections, les précipitations vont augmenter davantage que le rythme de l’évaporation, décrit Frank Seglenieks, cosecrétaire du Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent, un organe de la Commission mixte internationale partagé avec les États-Unis qui supervise le débit des Grands Lacs.

Lors d'événements particuliers, le lac pourrait monter jusqu’à 50 centimètres ou baisser de 20 à 30 centimètres en cas de sécheresse.

Cette montée du niveau du lac Ontario s'explique par sa position, en bas d'une chaîne de cours d'eau non contrôlés qui relie tous les Grands Lacs. La fonte des neiges et les précipitations sur toutes ces régions en amont jouent un rôle sur la quantité d'eau qu'il y a à Toronto.

Le météorologue précise néanmoins qu’il y a une forte probabilité que ces événements se produisent, mais qu'il ne s'agit pas d’une certitude.

Les projections de la Commission mixte internationale sont établies à partir de diverses agences mondiales qui utilisent des modèles de circulation générale basés sur différents niveaux de carbone dans l'atmosphère future.

Ces données mondiales sont ensuite utilisées par la Commission pour faire des projections locales concernant le bassin des Grands Lacs en vue de calculer les niveaux d'eau futurs. La dernière étude utilise 15 scénarios possibles.

Les conséquences d'un lac trop bas ou trop haut

Les niveaux d’eau trop faibles posent des problèmes pour l'écologie, mais aussi pour les activités humaines, comme la navigation de loisir ou commerciale. Si vos ports sont prévus pour un certain niveau d’eau, mais que tout d’un coup il baisse, vous ne pouvez plus y accéder et décharger la marchandise aussi facilement, explique Ewa Jackson, directrice du Centre de ressources d’adaptation climatique de l’Ontario (CRACO).

En raison de la configuration du lac Ontario, alimenté par la rivière Niagara et les autres Grands Lacs en amont, le Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent n'a qu’une prise marginale sur le niveau du Saint-Laurent.

La nature modifie les niveaux de plusieurs mètres et notre régulation peut l’ajuster de quelques centimètres, résume Frank Seglenieks.

Quant aux niveaux trop élevés, en plus de causer des inondations sur le bord du lac, ils accélèrent l’érosion lorsque l’eau entre en contact avec de la terre ou du sable.

Plusieurs institutions, à commencer par l’Office de protection de la nature de Toronto et de la région (TRCA), tentent de contrer l’érosion du lac Ontario et les risques d’inondation en modifiant ses abords.

De plus grosses pierres

À Scarborough, au pied des célèbres falaises du même nom, les ingénieurs doivent gérer l’érosion.

Les promontoires ont été lourdement endommagés par une tempête de vent en 2018. L’action des vagues ronge le bas des falaises, qui deviennent de plus en plus raides et à un moment, le sommet tombe, explique Jet Taylor, gestionnaire en réhabilitation et infrastructures pour TRCA.

Des structures ont été installées au bas des falaises sur une partie. Sur une autre, il a été décidé de laisser les falaises s’éroder naturellement, car cette formation a aussi un aspect géologique unique que Toronto veut conserver, et parce qu’à son sommet, il n’y a qu’un parc municipal qui peut se permettre de perdre un peu de terrain. Dans le passé, certaines maisons ont été détruites, car trop menacées.

Sur le bord de lac, on installe de plus grandes pierres, sur deux couches, ainsi qu’un plastron d’éclaboussure pour éviter l’érosion lorsque les vagues sont fortes, explique Jet Taylor.

Comme il s’agit d’une avancée artificielle sur le lac construite par les humains, ça devient très vite très profond note M. Taylor, ce qui nécessite d'installer des pierres sous l’eau. Sur la partie achevée, plusieurs types d’aménagements se succèdent.

On a de grosses pierres robustes là où les vagues les plus fortes arrivent, des plus petites là où elles sont moins intenses avec un enrochement et une structure plus verticale, car il y avait une plage naturelle de sable qu’on voulait préserver pour le public, énumère M. Taylor.

Conserver les plages

La TRCA doit souvent composer avec les Torontois qui réclament des plages agréables et la préservation. C’est un équilibre difficile, reconnaît Jet Taylor, mais il ajoute avec positivisme nous arrivons à un point où nous réussissons à intégrer beaucoup plus de protection tout en conservant l'usage pour les loisirs.

Pour cela, il faut utiliser des matériaux de même taille que le sable ou aménager la plage entre deux promontoires qui empêchent les éléments de la plage de dériver dans le lac.

À partir de 2025, d’autres opérations similaires seront menées sur les îles de Toronto pour éviter qu’elles soient submergées, à la suite des interventions d'urgence faites depuis 2018, notamment la pose de plus de 45 000 sacs de sable et de pompes.

Chaque endroit requiert des interventions différentes en fonction du relief et de l’exposition au vent ou aux vagues, précise Jet Taylor.

Le plus important, selon Ewa Jackson, est désormais de planifier en fonction des projections et pas seulement de ce qui est arrivé dans le passé. Ce conseil est aussi valable pour l’approvisionnement en eau potable dans le lac, où il faudra, selon elle, installer des tuyaux plus profondément que ce qu’on imaginait à l’origine.

Inondations et toits verts

La proximité du lac se confond avec les inondations. Les îles de Toronto ont par exemple été submergées en 2017 et 2019. Du côté de la terre ferme, les Torontois se souviennent des pannes d'électricité et des inondations de l’été 2024 qui n'avaient pas épargné la rive du lac et l’autoroute Don Valley. Le futur quartier des Portlands à l’embouchure de la rivière Don a, par exemple, été conçu pour absorber un maximum d’eau lors des inondations.

La protection des côtes concerne à la fois l’érosion et les inondations, précise Ewa Jackson. Les solutions naturelles n'étant pas toujours possibles dans une ville comme Toronto, des infrastructures grises existent, comme des pontons flottants qui s’ajustent au niveau du lac.

Lutter contre les inondations est aussi la première fonction des toits végétalisés, explique Sean Thomas, professeur en foresterie. Il en étudie le fonctionnement sur les toits de la faculté de géographie de l'Université de Toronto.

Sur l’installation ici, lors d'une petite pluie de moins d’un demi-centimètre, on ne verra aucun déversement. Ça remplira la profondeur du sol, décrit-il en montrant les bacs peu profonds d’où s'élèvent de hautes herbes. Si l’intensité est plus forte, vous verrez un déversement, mais moins important qu’avec une surface artificielle.

Le retardement des déversements de l’eau fait une grande différence, poursuit-il.

Aujourd’hui à Toronto, environ 2000 toits sont aménagés ainsi, soit environ 1 % de la surface des toitures. Il faudrait, selon M. Thomas, que la proportion de toitures végétalisées atteigne de 15 à 20 % de l'ensemble des surfaces pour être efficace.

Pour arriver à cette proportion en 2050, il faudrait aller plus vite que quelques centaines d’immeubles par an, soit le rythme atteint depuis 2009 et la dernière révision des règles municipales.

2024-11-24T10:54:12Z